Les arbres et les arbustes
Cette gestion des vagabondes ne s'arrête pas aux plantes herbacées dans les prairies, pelouses et massifs de vivaces : les arbres et arbustes, bien que leur cycle soit plus lent et par conséquent moins flagrant, sont tout aussi facétieux, et leur installation beaucoup plus pérenne.
Potentiellement, toutes les espèces présentes dans la région et produisant des graines fertiles sont susceptibles d'apparaître dans le parc (voyageant, toujours, avec le vent ou les oiseaux). En pratique, une douzaine d’espèces tout au plus constitue la grande majorité des ligneux (arbres, arbustes et arbrisseaux) spontanés. Et parmi ce groupe, un certain nombre provient directement du jardin lui-même. Cela facilite notre travail de reconnaissance, car il n'est pas toujours aisé d'identifier un arbre à un très jeune stade, lorsqu'il est encore facile de l'arracher si son emplacement pose problème. Attendre qu'il se développe pour prendre une décision peut coûter cher en effort supplémentaire.
Mais lorsqu'on laisse volontairement s'installer un arbre, ou – cela arrive – qu'on ne l'a décelé avant qu'il prenne une certaine ampleur, le résultat prend une dimension particulièrement intéressante. D'une part, en se développant à un emplacement totalement aléatoire, ce végétal décide malgré le paysagiste concepteur, et plus ou moins malgré le jardinier, qui n'a comme pouvoir que le choix de maintenir ou supprimer l'individu (bien qu'on puisse techniquement le déplacer, et qu'on le fait parfois), ce qui laisse une part du dessin au hasard, une partie de la signature à la nature elle-même. Mais surtout, l'arbre spontané a une qualité trop peu souvent reconnue (on lui laisse rarement le loisir de se développer) : il est systématiquement plus fort, plus vigoureux, plus solide et plus pérennes que ses frères issus de pépinière. La vie en pépinière, que ce soit en conteneur ou en pleine terre, puis le choc de transplantation, laissent des séquelles à vie aux arbres, qui portent en leur tronc et leurs racines les stigmates d'une jeunesse contrainte et d’une émancipation trop soudaine dans un milieu nouveau.
En raison (en partie) de ce principe, les plus grands arbres du parc sont actuellement également les plus jeunes : alors que les individus plantés en 2000 sont âgés d'au moins une vingtaine d'années, les nouveaux venus (10 ans tout au plus), issus d'une graine tombée là par hasard, croissent à une vitesse sans comparaison avec leurs aînés. Une réserve vis-à-vis de cette observation est que la plupart de ces arbres à forte croissance sont des pionniers (ailanthe, peuplier…) : il est dans leur nature de s'inviter dans des espaces dégagés et de dominer rapidement la végétation environnante. Et, à long terme, ils ne survivront pas à l'installation éventuelle d'arbres de haut jet, constitutifs de l'hypothétique forêt climacique. Le climax, destin de toute zone laissée en friche suffisamment longtemps, étant sous notre latitude et sur ce type de sol, la forêt. Les arbres pionniers sont, à l'échelle de temps des arbres, un feu de paille, qui cède ensuite la place aux essences "nobles", beaucoup plus lentes et surtout plus pérennes.