La flore

Jardin en Mouvement, prairies et vagabondes

Le parc Descartes applique et s'approprie la théorie du Jardin en Mouvement, développée par son concepteur, Gilles Clément. S'il fallait résumer rapidement cette démarche, on pourrait la décrire comme une opposition aux dessins stricts et figés que sont les jardins à la française. Le jardin en mouvement, s'il part certes d’un dessin, a vocation à évoluer dans le temps et l'espace au gré des caprices de la nature et des expériences des jardiniers.

Ceux-ci s'appliquent alors, non plus à vouloir maîtriser l'espace pour le faire correspondre trait pour trait au projet initial, mais à en saisir l'essence, les fluctuations, les imprévus, pour accompagner la nature dans sa capacité spontanée à en redessiner les formes, les contours et les couleurs.

La Prairie

La prairie est un parfait exemple de zone jardinée mais non dictée. Nous (les jardiniers) intervenons certes par fauchage, mais c'est l'observation de l'état et de la diversité des plantes qui s'y développent spontanément (apportées par le vent ou les oiseaux) ou pas (volontairement semées pour l'enrichir), qui nous amène à décider où et quand couper.



Coquelicots avant la fauche

La gestion du "fauchage"

Faucher unilatéralement et à fréquence régulière ferait inexorablement baisser la biodiversité en condamnant les espèces au cycle inadapté à ce rythme. Ne jamais faucher entraînerait la fermeture progressive du milieu qui tendrait vers une forêt  (ce qui peut parfois prendre à peine une quinzaine d’années, l'âge actuel du jardin).
C'est pourquoi nous procédons à une, deux, voire trois fauches par zone par an, ou pas de fauche du tout. La prairie peut être en général poussée jusqu'à trois ans avant qu'elle ne commence à s'armer (apparition de buissons épineux qui préparent l'arrivée des arbres), stade au-delà duquel l'intervention devient plus lourde.
Une partie des prairies est systématiquement conservée lors de la dernière fauche de l'année, afin de garantir un abri pour de nombreuses espèces animales qui ne pourraient survivre à l'hiver dans une simple pelouse. Cela permet également de protéger des oiseaux le pool de graines de la surface du sol.

Pour garantir la qualité écologique et esthétique de la prairie, il ne faut donc surtout pas appliquer un plan de gestion annuel répétitif (qui homogénéiserait la flore), mais au contraire improviser à chaque saison le programme de fauche, en fonction de ce l'on observera sur le terrain. De fait, les prairies présentent à chaque saison une disposition, des formes, des couleurs, des hauteurs qui ne seront jamais répétées, et qui ne correspondront bien sûr à aucun dessin préétabli. Le dessin est la prairie elle-même ; les pinceaux la faux, la faucheuse, la débroussailleuse et la tondeuse.

Les Vagabondes

Dans ces prairies, ainsi que dans les pelouses s'invitent, toujours au gré du vent et du déplacement des oiseaux, les Vagabondes. Ces plantes annuelles, bisannuelles mais aussi vivaces, qui aiment à se ressemer là où on les attend pas. Ce sont les molènes, ces grandes herbes duveteuses parfois appelées oreilles d’ours qui déploient leurs impressionnantes hampes florales jaunes ; les coquelicots, qui affectionnent particulièrement le sable chauffé au soleil des façades sud des résidences ; les gaillardes rouge et orange qui les accompagnent un peu plus tard dans la saison ; les roses trémières qui dépassent subitement des prairies… et la Berce du Caucase, une bisannuelle extrêmement vigoureuse, qui, d'invisible à la sortie de l’hiver, peut dépasser les 4 mètres de hauteur au mois de juin, lorsque les fleurs commencent à s'ouvrir. Une telle expansion, pour une plante inexistant deux ans auparavant et modeste l’année précédente, représente un bouleversement incontestable du dessin du jardin. Bouleversement aussi rapide qu'éphémère, la plante disparaissant intégralement après avoir produit ses graines.
Envahissante et particulièrement dangereuse (la sève cause des brûlures très graves), nous la guettons au printemps pour en supprimer la plupart des semis spontanés, ne conservant alors qu'une poignée de sujets qui pourront étaler leur silhouette imposante à distance respectable des allées de circulation, afin d'éviter les accidents. Nous la circonscrivons exclusivement (ou presque) au Jardin des Formes, situé entre le restaurant et l’IFÉ.


Vagabonde

Berce du Caucase

La Berce

La berce est ainsi une des favorites de Gilles Clément : invasive, bannie des jardins et des espaces naturels, crainte pour sa toxicité, quelque peu malodorante, elle est pourtant majestueuse, finement découpée, généreuse avec les insectes, et surtout maîtrisable. Impossible à ignorer, curieuse et un rien inquiétante, elle constitue un exemple frappant de ce que Gilles Clément prône à travers sa pratique et son discours : comprendre la nature pour aller le plus possible avec, et le moins possible contre : pour accueillir la berce sans se laisser déborder, il suffit de supprimer (avec les protections nécessaires) les inflorescences avant qu'elles ne montent à graines. On laissera  seulement quelques graines atteindre leur maturité, lesquelles assureront le renouvellement de la population sans que celle-ci ne prenne des proportions inquiétantes. Le monstre honni devient alors une plante parmi les autres, et même un invité de marque.

La gestion des "indésirables"

Les autres vagabondes observées dans le parc, et dont un certain nombre sont considérées comme indésirables dans un jardin "conventionnel", sont gérées avec beaucoup plus de souplesse : toujours favorisées lorsqu'elles sont bien placées (et nos critères à cet égard sont larges), mais pas sacralisées pour autant, lorsque les populations sont assez bien installées. En revanche, bien sûr, l'apparition d'un petit nombre, voire parfois d'un seul individu d'une nouvelle espèce jusque-là non observée au parc, nous amène à l'identifier, la signaler par un tuteur, et lui garantir l'immunité jusqu'à la production de graines, que nous essayerons de favoriser pour pérenniser son installation. Cette plante devient alors, au moins tant que sa population est fragile, un critère important de décision quant aux rythmes de fauchage.

Les arbres et les arbustes

Cette gestion des vagabondes ne s'arrête pas aux plantes herbacées dans les prairies, pelouses et massifs de vivaces : les arbres et arbustes, bien que leur cycle soit plus lent et par conséquent moins flagrant, sont tout aussi facétieux, et leur installation beaucoup plus pérenne.
Potentiellement, toutes les espèces présentes dans la région et produisant des graines fertiles sont susceptibles d'apparaître dans le parc (voyageant, toujours, avec le vent ou les oiseaux). En pratique, une douzaine d’espèces tout au plus constitue la grande majorité des ligneux (arbres, arbustes et arbrisseaux) spontanés. Et parmi ce groupe, un certain nombre provient directement du jardin lui-même. Cela facilite notre travail de reconnaissance, car il n'est pas toujours aisé d'identifier un arbre à un très jeune stade, lorsqu'il est encore facile de l'arracher si son emplacement pose problème. Attendre qu'il se développe pour prendre une décision peut coûter cher en effort supplémentaire.

Mais lorsqu'on laisse volontairement s'installer un arbre, ou – cela arrive – qu'on ne l'a décelé avant qu'il prenne une certaine ampleur, le résultat prend une dimension particulièrement intéressante. D'une part, en se développant à un emplacement totalement aléatoire, ce végétal décide malgré le paysagiste concepteur, et plus ou moins malgré le jardinier, qui n'a comme pouvoir que le choix de maintenir ou supprimer l'individu (bien qu'on puisse techniquement le déplacer, et qu'on le fait parfois), ce qui laisse une part du dessin au hasard, une partie de la signature à la nature elle-même. Mais surtout, l'arbre spontané a une qualité trop peu souvent reconnue (on lui laisse rarement le loisir de se développer) : il est systématiquement plus fort, plus vigoureux, plus solide et plus pérennes que ses frères issus de pépinière. La vie en pépinière, que ce soit en conteneur ou en pleine terre, puis le choc de transplantation, laissent des séquelles à vie aux arbres, qui portent en leur tronc et leurs racines les stigmates d'une jeunesse contrainte et d’une émancipation trop soudaine dans un milieu nouveau.

En raison (en partie) de ce principe, les plus grands arbres du parc sont actuellement également les plus jeunes : alors que les individus plantés en 2000 sont âgés d'au moins une vingtaine d'années, les nouveaux venus (10 ans tout au plus), issus d'une graine tombée là par hasard, croissent à une vitesse sans comparaison avec leurs aînés. Une réserve vis-à-vis de cette observation est que la plupart de ces arbres à forte croissance sont des pionniers (ailanthe, peuplier…) : il est dans leur nature de s'inviter dans des espaces dégagés et de dominer rapidement la végétation environnante. Et, à long terme, ils ne survivront pas à l'installation éventuelle d'arbres de haut jet, constitutifs de l'hypothétique forêt climacique. Le climax, destin de toute zone laissée en friche suffisamment longtemps, étant sous notre latitude et sur ce type de sol, la forêt. Les arbres pionniers sont, à l'échelle de temps des arbres, un feu de paille, qui cède ensuite la place aux essences "nobles", beaucoup plus lentes et surtout plus pérennes.

Arbuste

Paulownia tomentosa

Mais il est au moins un cas particulièrement flagrant de cette disparité entre les individus "élevés en captivité" et les sujets spontanés : dans le Jardin du Temps, tout près de l'entrée (nord) de l'IFÉ, poussent à proximité l'un de l'autre deux Paulownia tomentosa, arbre reconnaissable à ses grandes feuilles duveteuses, ses grandes inflorescences violettes et ses fruits à la coque très dure. L'un a été planté en 2000. L'autre est son pied-fille, issu d'une graine ayant germé autour de 2005, ce qui lui donne environ 10 ans de retard sur le pied-mère. Le défi maintenant, est de reconnaître d'un simple regard lequel est le plus âgé !
Paulownia Tomentosa
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